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Loin de chez soi : les voyages des instituteurs dans le réseau de l'Alliance israélite universelle (1860-1940)


Cette exposition virtuelle, basée sur une communication de monsieur Jean-Claude Kuperminc lors du Congrès de la Société des études juives à Toulouse, lundi 24 juin 2024, vise à mettre en lumière l'importance du voyage dans la carrière des instituteurs de l'Alliance israélite universelle.

Une histoire mondiale de l'Alliance ?

La plupart des travaux historiques sur l’Alliance israélite universelle, depuis 160 ans, ont analysé l’institution sous des angles historiques, sociaux, diplomatiques, politiques. Très peu ont envisagé d’étudier en profondeur la géographie de l’Alliance. Pourtant, tout se prête à ce type d’étude. La représentation de l’Alliance par une cartographie est classique, et elle a d’ailleurs toujours été problématique, pour l’institution elle-même. L’habituelle désignation d’une envergure de l’Alliance touchant les zones du pourtour méditerranéen et des Balkans, est une facilité de langage. Si elle est globalement proche de la vérité historique, elle exclut cependant des zones d’activités importantes de l’Alliance. Mais comme on met l’accent le plus souvent sur les écoles de l’Alliance, ce que l’institution met elle-même en avant à chaque époque, on peut facilement oublier que l’influence de l’AIU a touché d’autres zones et continents.

Le continent américain est un des grands oubliés de ces représentations traditionnelles. Seule ou en collaboration, l’Alliance a pourtant eu une activité multiforme en Amérique du Nord, centrale et du Sud. On pense à l’action menée en Argentine, dans les colonies du Baron de Hirsch, et également au Brésil. On sait trop peu que l’Alliance a installé et assisté plusieurs colonies agricoles en Amérique du Nord, dans l’Etat de New York et du New Jersey, dont l’une est toujours existante, et présente une actualité étonnante en proposant un retour à a terre à de jeunes juifs américains. 

L’autre continent inconnu est bien sûr l’ancien Empire tsariste. Il est vrai que l’Alliance n’a jamais été autorisée à créer des écoles dans le territoire russe. Pourtant, les archives concernant le territoire de l’ancien Empire, encore qualifiées d’URSS, sont pleines de récits, d’appels au secours, de réalisations politiques, concernant les Juifs de l’Est de l’Europe. De l’action de Charles Netter à Brody, au moment des grandes migrations des Juifs de l’Empire tsariste en 1882, aux multiples interventions en faveur des Juifs de Roumanie ou de Serbie, il faut bien retenir que l’AIU a été un partenaire majeur de la vie diplomatique de cette deuxième partie du XIXe s.  

Retenons aussi que la communauté qui est née dans l’enthousiasme de l’Appel des fondateurs en 1860 était présente dans le monde entier. Les Comités locaux ont vu le jour dans les endroits les plus improbables, si on fait référence à la géographie habituelle du judaïsme. Les archives de l’AIU possèdent ainsi des dossiers, parfois très succincts, pour des lieux comme, par ordre alphabétique : Aden, les Antilles anglaises et néerlandaises, l’Australie, le Canada, le Chili, la Chine, la Colombie, Cuba, le Danemark, l’Erythrée, l’Espagne, les Etats-Unis, Gibraltar, la Guyane hollandaise, l’Inde, l’Indochine française, l’Irlande, le Japon, le Luxembourg, la Malaisie, l’ïle Maurice, le Mexique, le Nicaragua, le Nord-Vietnam, le Pérou, la Pologne, le Portugal, Saint-Domingue, la Suède, la Suisse, la Tchécoslovaquie, l’URSS, l’Union Sud Africaine, le Vénézuela et le Yemen.

Et cette étendue géographique se retrouve aussi et surtout dans le parcours de nos enseignants. Pour prendre l'exemple d'André Cuenca, cette carte est des plus parlantes :

Né à Salonique d'une famille originaire d'Espagne, il est allé étudier à l'ENIO Paris avant d'être nommé en Iran où il a fait toute sa carrière. Le récit de sa prise de poste à lui-seul est un témoignage des épopées que pouvaient vivre les enseignants de l'Alliance israélite universelle : 

Embarquement à Marseille pour Constantinople où il prend quelques jours de repos chez l'oncle d'un de ses camarades de l'ENIO (pas inutile au vu de ce qui va suivre) avant de rejoindre Batoum, un port de l'URSS du sud-est de la mer Noire. C'est ensuite un train qui l'emmène jusqu'à Bakou en passant par Tbilissi. De là, il embarque dans un nouveau navire pour rejoindre enfin l’Iran dans le port de Pahlevi. De là, ni train ni autocar pour Téhéran et Cuenca n'a plus assez d'argent pour payer le taxi. Heureusement, le directeur de la douane demande à un chauffeur de l'emmener jusqu'à la capitale sans le faire payer. Ce trajet en voiture prendra 36 heures (contre deux aujourd'hui) avant qu’un nouveau taxi ne l’emmène à Ispahan (36 heures de nouveau). Et enfin, un dernier trajet, jusqu’à Yezd,… à dos d’âne pour terminer ce périple !
 
Cette exposition vise à vous faire découvrir ces parcours exceptionnels mais aussi à rendre hommage à tous ces gens qui ont fait l'Alliance israélite universelle.