La mobilité, au cœur de l’activité de l’Alliance
Par définition, de part les missions qu'elle se donne, il est évident que l'Alliance israélite universelle va faire face à des problématiques liés aux déplacements.
Dès avant la création de l’AIU, le premier voyage véritablement initiatique sera celui d’Adolphe Crémieux et de Moses Montefiore en 1840, pour porter secours aux Juifs de Damas injustement accusés de crime rituel. Sur le chemin du retour des deux grands hommes depuis Constantinople, les communautés juives traversées réserveront un accueil des plus favorables aux sauveurs français et britannique.
Pour cette exposition, nous allons, naturellement, nous appuyer sur nos archives qui sont de superbes sources malheureusement encore trop peu exploitées sur ce sujet spécifique des voyages.
Pour ce faire il faut tout d’abord rappeler rapidement l’organisation de l’institution. Pour atteindre les 180 villes recelant une école en 1914, l’Alliance a dû se résoudre à créer un corps enseignant très particulier. Le système s’organise depuis 1867 de la manière suivante. Une Ecole normale israélite orientale est instituée, destinée à former les maîtres qui viendront exercer dans toutes les écoles de l’AIU. Elle s’installera dans les années 1870 dans un parc à Auteuil, ce lieu étant aujourd’hui à la fois l’emplacement d’une école primaire, l’Ecole Gustave Leven, et celui de la bibliothèque de l’AIU. Les jeunes gens, et très rapidement les jeunes filles, proposés par les directeurs des écoles de tout le réseau scolaire, passent un concours dont les épreuves comprennent le français, les mathématiques, les sciences, l’histoire juive. Les meilleurs candidats et candidates sont retenus et leurs parents signent un engagement de 10 ans, durant lesquels les jeunes normaliens et normaliennes ont l’obligation d’exercer dans les écoles de l’AIU.
Grâce à des archives pillées par les Nazis en 1940, et retrouvées à Moscou dans le cadre des archives spéciales soviétiques, nous avons pu récupérer un ensemble de copies d’examens d’entrée à l’ENIO. L’une des épreuves a été exploitée notamment par l’historienne américaine Frances Malino, qui a analysé les copies des élèves décrivant leur départ de leur domicile vers Paris.
Il faut bien mesurer que le premier voyage des enseignants est sans doute le plus important, le plus déterminant, et parfois le plus traumatisant. C’est un voyage géographique et mental à la fois. Les jeunes sélectionnés, quittent leurs familles, leurs amis, leur environnement, la ville qui les a vus naître, pour venir à Paris pendant quatre ou cinq ans. Ces jeunes gens et filles de 15 ou 16 ans sont très enthousiastes et très impressionnables. Pour la plupart d’entre eux, leur départ vers l’ENIO, ou à partir de 1922 pour les filles en direction de l’école normale de Versailles., est leur première aventure. Malheureusement, nous n’avons que peu de traces de ces premiers voyages.
Leur séjour en région parisienne est également un voyage mental qui va bouleverser leurs vies. Ils doivent découvrir la vie en collectivité, la culture française, et la vie parisienne. La plupart s’acculturent très vite et avec plaisir à cette nouvelle vie. Ils profitent de leurs études, de leurs camarades, et aussi de la vie culturelle de la capitale dont les portes leurs sont volontiers ouvertes par l’AIU.
Par contre nous avons plus fréquemment des récits relatant la prise de poste d’un enseignant à sa sortie de l’Ecole normale comme vous pouvez le voir dans cette lettre envoyée par Sol Bressa, née Canetti, qui part de Paris pour prendre un post au Maroc en 1935 :
Le principe, pour l'Alliance, est le plus souvent de ne pas envoyer les maîtres dans leur ville ou pays d’origine. Un enseignant de l’AIU, entre 1860 et 1940, aura en moyenne 5 ou 6 affectations, dans au moins 2 pays différents. Ces voyages professionnels leur sont imposés, ils n’ont pas le choix de leur affectation. Très souvent, quand pour diverses raisons les enseignants contestent leur déplacement vers telle ou telle école, le Comité central ne les soutient pas et reste inflexible dans ses choix. A travers les voyages, on perçoit les enjeux lourds des relations entre le corps enseignant, les fameux hussards ou missionnaires de l’AIU, sans qui rien ne serait possible, et l’administration centrale, menée pendant très longtemps par le rigide Jacques Bigart, qui lui doit défendre la vue d’ensemble de l’institution, en faisant face quasi structurellement aux pénuries de moyens de l’AIU, qui n’a jamais été aussi riche qu’on l’a prétendu.
Si nous pouvons aujourd’hui vous proposer une certaines typologie des informations sur les voyages, c’est parce que nous avons intégré, dans les dernières décennies, la notion de « frais de voyages » dans les descriptions même sommaires des archives. C’est cela qui permettra aux chercheurs intéressés par le thème de s’orienter dans le labyrinthe des collections.
En effet, conformément aux Instructions publiées en 1903, les instituteurs sont tenus dès leur arrivée à leur nouveau poste, de faire parvenir au Comité central un rapport détaillé sur leurs frais de voyage. Les rapports se basent sur les dépenses effectuées, et leur utilité est de procéder à une vérification comptable. Le voyage se fait aux frais de l’administration de l’AIU, toutefois les dépenses sont contraintes et très surveillées. C'est un aspect de nos archives qui reste encore à exploiter pleinement par le monde de la recherche.