Les conditions du voyage
Nos archives sont un puit remplis de récits de voyage, décrivant tant les régions parcourues par les instituteurs de l'Alliance et la vie des populations locales que leurs conditions de voyage.
Ce courrier de Claire Klimovitzky au Maroc en 1914 est assez typique de ces échanges :
Dans cette lettre Claire Klimovitzky raconte son voyage à l’intérieur du Maroc entre Larache à Fez, un voyage de 6 jours à dos d’âne. Six jours pour faire ces 200 km à vol d'oiseau que l'on fait maintenant en 3h30 par l'autoroute. D'ailleurs, Bigart lui répondra « Grâce aux lignes de chemin de fer qui bientôt sillonneront le Maroc, les voyages dans ce pays deviendront moins pénibles, mais perdront certes en pittoresque ». Dans ce courrier, on retrouve aussi les remarques habituelles sur le caractère arriéré mais courageux des caravaniers
Dans cette autre lettre d'Emile Altaras (lettre qui a voyagé par bateau à vapeur via le détroit de Gibraltar), il évoque des assassinats de rabbins auquel il a été confronté lors de ce voyage :
Dans une lettre de 1932 où il se moque gentiment des nouveaux instituteurs de l’AIU, Haïm Djivré raconte ses mésaventures lors d’un voyage de Marrakech à Sefrou en 1918.
Sous une pluie intense, la voiture à chevaux s’embourbe et les voyageurs doivent s’en extraire. Ils sont recueillis dans un bâtiment commercial, où on les laisse dormir, trempés, crottés, à jeun, en compagnie d’un âne et de poules. Le lendemain matin, le soleil luit et ils peuvent reprendre leur voyage et arriver à Sefrou. Leur soulagment n’a dégal que celui des juifs de Sefrou qui craignaient pour leurs vies.
Les voyages forment la jeunesse
Mais l'on rencontre aussi d'autres voyages dans les archives de l'Alliance israélite universelle. Par exemple, grâce à Raoul Montefiore, les élèves de l’ENIO, dans les années 1930, passent l’été dans un château de la commune des Mesnuls près de Rambouillet en région parisienne. Le fils de Moïse Bibasse, Albert fait parti de ces élèves et part en voyage en Normandie avec 40 camarades. Voici ce qu'en dit Moïse Bibasse :
Le père vante « l’état d’âme des jeunes gens qui se préparent dans cet admirable établissement d’éducation à leur future mission. Ils sont heureux de vivre, de vivre pleinement pendant ces vacances bénies, faisant ample provision de santé, de force physique, intellectuelle et morale qui leur permettront de reprendre avec entrain et profit le rude travail de l’année scolaire qui va bientôt commencer ».
Le voyage est décrit par le menu. 10 km de marche des Mesnuls à la gare, un picnic dans le train pain, saucisson, boîte de conserves et fruits. La découverte de la côte normande à Arromanches, les baignades en maillot de bain. La randonnée de 80 km à pied jusqu’à Deauville. La marche, les repas pris en commun en plein air, la sieste. Et à la nuit, un fermier qui met à leur disposition une grange. La nuit dans le foin. Arrivés à Deauville, un riche fermier consent à leur prêter pour trois jours une maisonnette vide qu’il possède dans un parc voisin. La découverte de Deauville « on va à Deauville comme on irait au bal ». Le retour à pied à Arromanches (pour un périple total de 180 km à pied).
Nous sommes exactement pour ces élèves de l’ENIO venant d’horizons divers, dans la même dynamique du camping et de la randonnée pédestre favorisés dans les années 1930 et qui correspondent à l’ambiance du Front Populaire.
Pourquoi ne pas voyager
Si l'on a ces témoignages de voyage, on trouve au contraire des traces d'enseignants qui refusent d'effectuer certains voyages. En voici deux exemples :
David Arié nommé à Samacoff (aujourd’hui Samocov en Bulgarie), ne veut pas s’y rendre parce qu’il ne souhaite pas être séparé de son épouse qui resterait à Constantinople. Il produit un certificat médicale interdisant le voyage par voie terrestre à Mme Arié.
Ici, Haïm Benjamin refus d’entreprendre le voyage vers Ispahan en raison du désordre politique en Perse.
Les voyages imaginaires
Certains de nos enseignants partent effectivement en voyage et s'avèrent déçus par le fait que ce qu'ils vivent ne corresponde pas à ce à quoi ils s'attendaient.
Dans ce récit de voyage en Palestine, Rachel Amram décrit autant
- Le bateau : « Le voyage me parut interminable, je trouvais que le bateau avançait trop lentement et j’avais envie d’aller pousser cet immense bâtiment »
- Le train pour Tel Aviv : « Quel train ! On dirait plutôt une suite de charrettes, tant pour l’incommodité que pour la lenteur (20 ou 30 KM/h). »
- Les paysages : « En effet dans l’espace de 3 ou 4 KM, on se croirait passer dans deux pays différents tant le contraste est grand entre une colonie (village) arabe et une colonie juive ».
Voici ce que lui répond Sylvain Halff (le secrétaire général) concernant sa vision idyllique de la Palestine :
« Vous relatez vos impressions sur la Palestine que vous avez d’abord entrevue à travers un nuage de rêve dont la réalité vous est ensuite apparue par les livres et que vous avez enfin connu au cours d’un voyage dont le souvenir vous émeut encore. Nous ne voulons pas troubler votre enthousiasme par des réflexions trop froides , trop sévères, car votre exposé est bien présenté et ne se lit pas sans agrément ».
C'est aussi ce que l'on retrouve dans cette lettre de René Camhy qui relate son voyage à Demnat en 1928 :
On apprend que le bureau du service des renseignements (militaire) est à 7 km de la ville. « C’est une région soumise récemment et pas encore très sûre ». Il y décrit l'habitat et des habitants de manière très misérabiliste. « Malgré l’espace, les maisons (je devrais dire les cabanes) sont laissées les unes sur les autres »,« les chambres sont longues et étroites, elles ont en guise de fenêtres de longues fentes ressemblant à des meurtrières. C’est par là que l’air et la lumière entrent !... » ainsi que les 500 juifs qui habitent les ruelles étroites et boueuses du Mellah « Ils se ressemblent tous par leurs djellabah, leurs chechias et leurs barbes , ou par deux longues nattes, leurs robes et leur châle aux couleurs voyantes », « Tous vont nu-pieds, ils marchent le regard fixé à terre ».
Camhy est finalement hébergé chez l’homme le plus riche de la ville. Il ne parle comme la plupart des habitants que le chleuh, la langue berbère. En s’aidant de l’hébreu et du français traduit par un petit Tunisien, Camhy fait comprendre que l’AIU souhaite créer une école à Demnate, où plus de 80 enfants traînent toute la journée alors que leur parents souhaitent leur donner une éducation.