Narcisse Leven, avocat, républicain et cofondateur de l'Alliance israélite universelle
Avocat, homme politique et philanthrope, Narcisse Leven (1833-1915) a marqué le XIXᵉ siècle par son engagement en faveur des droits humains et de l’éducation. Il a notamment été un acteur essentiel des premières années de l’Alliance israélite universelle.
Narcisse Leven : l'homme politique, l'avocat, le républicain
Narcisse Leven grandit dans une famille où les notions de devoir et d’honneur occupent une place centrale. Son père, d’origine germanique, choisit de quitter sa région natale du Rhin après les traités de 1815, abandonnant une industrie florissante pour rester français. Ce choix marque profondément Narcisse, nourrissant en lui un attachement indéfectible à la France. Élève brillant, il suit une scolarité exigeante au lycée Henri-IV, où il est rapidement confronté aux bouleversements de son époque. À quinze ans, la Révolution de 1848 l’imprègne d’idéaux de fraternité et d’engagement social qui guideront son parcours.
Encore lycéen, Narcisse Leven fait déjà ses premiers pas dans l’engagement citoyen. Il crée une association pour soutenir les familles en difficulté du 12ᵉ arrondissement de Paris, un geste qui lui vaut le soutien de figures majeures comme Victor Hugo et Adolphe Thiers.
Voici d’ailleurs ce qu’ils disaient de son initiative :
« Mon cœur est avec vous, jeunes gens ! Soyez bénis pour tout le bien qui sort de vos mains. Faites secourir le peuple par les enfants, je ne sais rien de plus touchant ni de plus charmant.» Victor Hugo
« M. Thiers se fera un plaisir de mettre un de ses ouvrages à la disposition de Messieurs les élèves du collège Henri IV pour la loterie en faveur des pauvres du XIIe arrondisse¬ment. Il vient de donner à la reliure un exemplaire de son ouvrage : De la propriété, qu’il enverra avec quelques mots de sa main aussitôt qu’il sera prêt. M. Thiers remercie MM. les élèves de Henri IV d’avoir songé à l'associer à leur bonne œuvre.» Adolphe Thiers
Après des études de droit, il devient avocat en 1855. Sa trajectoire prend un tournant décisif lorsqu’il croise la route d’Adolphe Crémieux, fervent républicain et défenseur des droits humains. Sous son influence, Leven affine ses convictions et s’implique activement dans la vie politique. Il rejoint d’ailleurs Crémieux comme collaborateur lorsqu’il est nommé ministre de la Justice en 1870.
Dès ses premières années au barreau, Leven se distingue par sa défense des républicains poursuivis pour complot contre le régime. Il plaide notamment devant la Haute Cour de Blois, démontrant un talent oratoire remarquable et une grande rigueur juridique. Ses prises de parole marquantes lui valent rapidement l’estime de ses confrères et des militants républicains.
Il est également connu pour avoir défendu plusieurs causes internationales, témoignant de son engagement en faveur des libertés fondamentales. Parmi celles-ci figure l’affaire du Caïd Eliaou Schemama contre le gouvernement tunisien, où il plaide avec force devant le tribunal civil de Tunis.
En parallèle de sa carrière d’avocat, Narcisse Leven s’engage pleinement en politique. Élu conseiller municipal de Paris en 1879, il occupe ce poste jusqu’en 1887. Durant ces années, il se bat pour les valeurs républicaines et la laïcité, en s’impliquant particulièrement dans les questions d’éducation et d’assistance publique.
Tout au long de sa vie, il a rédigé de nombreux discours et plaidoiries. À l’occasion de cette exposition, la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle met à disposition trois de ses textes sur sa bibliothèque numérique. Nous vous invitons à les découvrir pour mieux apprécier la force de sa plume et la puissance de son engagement.
- Discours au Conseil Municipal de Paris
- Discours prononcé aux obsèques de M. le Baron Maurice de Hirsch
- Plaidoirie dans l'affaire du Caïd Eliaou Schemama contre le gouvernement tunisien
Narcisse Leven : cofondateur et président de l'Alliance israélite universelle (AIU)
Dès ses jeunes années, Narcisse Leven s’engage dans la vie associative juive en France. Il participe activement aux travaux du Consistoire de Paris et du Consistoire central, tout en contribuant à des organisations d’envergure internationale comme la Jewish Colonization Association (JCA). Mais c’est surtout à l’Alliance israélite universelle (AIU) qu’il laisse son empreinte la plus profonde.
En 1860, dans un contexte de discriminations persistantes et d’inégal accès à l’éducation pour les communautés juives d’Europe et du bassin méditerranéen, un groupe d’intellectuels et de philanthropes français décide d’agir. Parmi eux, à seulement 26 ans, Leven participe activement à la fondation de l’AIU aux côtés d’Élie-Aristide Astruc, Isidore Cahen, Charles Netter, Jules Carvallo et Eugène Manuel.
Nommé secrétaire général en 1863, il administre l’Alliance avec un engagement sans faille pendant vingt ans. Son action permet l’essor du réseau éducatif de l’AIU, qu’il développe en multipliant les écoles et en assurant leur bon fonctionnement sur le terrain. Après la disparition d’Adolphe Crémieux en 1880, il en devient vice-président, poursuivant l’expansion de l’institution et renforçant son influence diplomatique.
Son élection à la présidence en 1898 marque une nouvelle phase de développement. Il modernise les programmes scolaires, améliore les conditions d’enseignement et maintient un combat constant contre les persécutions antisémites, jusqu’à sa mort en 1915.
Témoin privilégié des cinquante premières années de l’Alliance israélite universelle, Narcisse Leven entreprend de consigner dans un ouvrage de référence l’histoire et les accomplissements de l’institution. En 1911, il publie Cinquante ans d’histoire. L’Alliance israélite universelle (1860-1910), un livre qui reste aujourd’hui une source incontournable pour comprendre l’évolution de l’AIU.
À travers ce récit, Leven revient sur les défis et les succès qui ont façonné l’Alliance, soulignant le rôle central de l’éducation comme levier d’émancipation et d’intégration. Toujours disponible sur Gallica, cet ouvrage fait de lui le premier historien de l’AIU, posant les bases d’une mémoire institutionnelle qui perdure encore aujourd’hui.
Son engagement dépasse largement son propre parcours. En donnant à l’Alliance une structure solide et une vision durable, il assure la pérennité de son action bien après sa disparition en 1915. Ce dévouement transparaît aussi dans le Livre d’or rédigé en 1908 à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire. Composé de lettres envoyées par les enseignants de l’AIU, ce recueil, numérisé grâce à la générosité d’Hubert Leven, témoigne de l’attachement profond du personnel de l’Alliance à son président et à l’œuvre qu’il a bâtie.
La famille Leven et l'AIU : un héritage pérenne
L’engagement de Narcisse Leven pour l’Alliance israélite universelle ne s’éteint pas avec lui. L’école de l’Alliance à Casablanca porte d’ailleurs son nom. Sa descendance, quant à elle, continue d’occuper des postes clés au sein de l’institution, assurant la pérennité de son œuvre et de ses idéaux.
Dès 1936, son fils Georges Leven devient vice-président de l’AIU suite au décès du Dr Arnold Netter et assume de facto la présidence jusqu’à sa disparition en 1941. Son action contribue à maintenir l’institution en dépit des bouleversements politiques et des menaces pesant sur les communautés juives. En reconnaissance de son engagement, un collège-lycée porte aujourd’hui son nom. Son frère, Maurice, lui succédera à la vice-présidence de 1946 à 1951.
Raymond et Gustave, fils de Georges, poursuivent cette mission. L’école Gustave Leven honore son action en faveur de la transmission du savoir, tandis que Raymond occupe à son tour la vice-présidence de l’AIU jusqu’en 1980, consolidant les missions éducatives et philanthropiques de l’institution. En reconnaissance de son implication, le lycée franco-israélien Mikveh Israël porte son nom.
Aujourd’hui encore, Hubert Leven, fils de Raymond, poursuit cet engagement en tant que vice-président de l’AIU, œuvrant pour le développement et la modernisation de l’institution. Ses fils, Alexis et François, sont également impliqués en tant que membres du Haut Conseil de l’AIU, garantissant la transmission des valeurs portées par leur famille.
À travers les générations, la famille Leven reste un pilier fondamental de l’Alliance israélite universelle. Son engagement constant illustre une fidélité sans faille aux principes de Narcisse Leven : promouvoir l’éducation, lutter contre les inégalités et défendre des valeurs d’émancipation et de solidarité qui demeurent aujourd’hui plus que jamais d’actualité.
Conclusion
L’héritage de Narcisse Leven se mesure par l’empreinte profonde et durable qu’il a laissée sur l’Alliance israélite universelle et sur les générations suivantes. Grâce à son engagement inébranlable, il a permis à l’AIU de devenir un acteur majeur de l’éducation et de l’émancipation, tant en France qu’à l’international. Son action, poursuivie par ses descendants, incarne une vision avant-gardiste : celle d’un monde où l’éducation ouvre les portes de la liberté et de la dignité, au-delà de son époque.
Aujourd’hui encore, les idéaux portés par Narcisse Leven continuent d’animer l’AIU, qui perpétue son œuvre en adaptant ses missions aux défis contemporains. Ses écrits, ses réalisations et l’implication de sa famille rappellent que son combat pour la connaissance et la justice demeure plus que jamais d’actualité.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à vous pencher sur nos collections.
Nos archives concernant Narcisse Leven :
- FRANCE I A 03
- FRANCE I A 04
- FRANCE XIII A 83
- FRANCE VI D 20.04
- FRANCE IX D 51.06 e
Sur notre bibliothèque numérique :
- Narcisse Leven par Jean-Paul Coulon
- Le Centième anniversaire de la naissance de Narcisse Leven (Allocutions de Sylvain Lévy, du Dr Arnold Netter et d'Alfred Berl)
- Adolphe Crémieux : conférence faite à la Société des études juives le 21 janvier 1888 par Narcisse Leven
- Archives israélites de France. Vol.76 N°06 (11 févr. 1915), article à la mémoire de Narcisse Leven
- Archives israélites de France. Vol.76 N°02 (14 janv. 1915) article d'H. Prague suite au décès de Narcisse Leven
- Revue des Ecoles de l’Alliance Israelite N°09 (01 janv. 1904), conférence de Narcisse Leven sur Adolphe Crémieux
- A monsieur N. Leven : le personnel des écoles de l'Alliance, lettres envoyées par les enseignants de l’AIU
- Discours au Conseil Municipal de Paris
- Discours prononcé aux obsèques de M. le Baron Maurice de Hirsch
- Plaidoirie dans l'affaire du Caïd Eliaou Schemama contre le gouvernement tunisien
- Illustrations utilisées pour cet article :