Précédent
Suivant

Jules Carvallo (1825–1896) : Une pensée fondatrice pour l’Alliance


À l’occasion de notre exposition virtuelle sur Narcisse Leven, nous avons évoqué la médaille commémorative frappée en 1910 pour célébrer le cinquantenaire de l’Alliance israélite universelle. En fouillant dans nos archives, nous avons retrouvé une lettre écrite par Jules Carvallo à propos de cette médaille. Il nous a semblé cohérent de commencer cette exposition sur lui avec cette lettre, qui est un magnifique témoignage de l’amitié qui régnait entre les fondateurs de l’AIU.

Ce document est emblématique de l'esprit de camaraderie et de coopération qui animait les pionniers de l’Alliance. Une amitié profonde, que l’on retrouve à travers les nombreuses lettres et écrits laissés par Carvallo dans les archives de l’AIU. Loin d’être un simple acteur intellectuel, Carvallo est également un homme de terrain, un pédagogue engagé, et un acteur clé de la fondation de l’Alliance.

Dans cette exposition, nous retraçons son parcours, son rôle déterminant dans la création de l'Alliance israélite universelle, et son influence dans l’histoire du mouvement. Carvallo incarne l’idéal républicain et universaliste qui a guidé la naissance de l’AIU, et c’est avec ce portrait en tête que nous vous invitons à découvrir son œuvre et son héritage.


Un homme du XIXe siècle : science, enseignement et convictions

Né en 1825 à Paris, Jules Carvallo appartient à cette génération formée par les grandes écoles républicaines. Diplômé de l’École polytechnique et ingénieur des Ponts et Chaussées, il participe à l’essor des infrastructures du XIXe siècle : canaux, viaducs et lignes de chemin de fer en France — notamment dans le Centre et le Sud-Ouest —, puis en Espagne, où il travaille pour la compagnie de l’Èbre. Ce parcours d’ingénieur illustre son inscription dans une France en transformation, à la croisée du progrès technique, de l’organisation administrative et des idéaux républicains.

Ses publications scientifiques témoignent de cette double vocation, technique et pédagogique. Nous vous proposons, via notre bibliothèque numérique, de découvrir deux de ses publications.

Son Traité des nombres parfaits, dédié aux élèves de mathématiques spéciales, reflète une volonté claire de transmettre le savoir à la jeunesse. Ce souci de formation est déjà un écho de ce qu’il mettra plus tard au cœur de son engagement pour l’Alliance israélite universelle : l’éducation comme levier d’émancipation.

Avec Assainissement et culture du delta des grands fleuves. Expérience dans le delta de l’Èbre, Carvallo propose une étude précise, méthodique, sur la transformation de zones marécageuses en terres cultivables. Il y articule assainissement, rendement agricole et santé publique, dans une vision où la rigueur technique devient un outil au service du bien commun.

Mais Carvallo ne se limite pas à ses fonctions d’ingénieur. Dès les années 1850, il s’implique activement dans la vie intellectuelle juive française. Son esprit républicain, sa formation scientifique et sa vision internationale nourriront un engagement durable, qui trouvera son aboutissement dans la création de l’Alliance israélite universelle.

Aux origines de l’Alliance : penser une organisation juive universelle

En 1851, dans un article publié dans L’Univers Israélite intitulé « D’un Congrès israélite », Jules Carvallo esquisse les fondements d’un projet inédit : réunir un congrès mondial juif capable de penser et d’organiser l’avenir du judaïsme à l’échelle internationale. Il y aborde déjà des thèmes qui lui sont chers — éducation, humanité, agriculture, science —, autant de piliers qui traversent toute sa vie et annoncent la vocation de l’Alliance israélite universelle.


Ce texte visionnaire imagine une structure laïque et transnationale, inspirée du modèle républicain français, mais pensée pour agir hors de France, en faveur de l’émancipation des Juifs partout dans le monde. Carvallo y appelle au soutien de grandes figures de son temps, telles que Moses Montefiore, Adolphe Crémieux ou les Rothschild, dont il espère faire les garants moraux et financiers de cette entreprise. L’ambition est claire : faire de l’éducation un levier d’émancipation, et de la solidarité une arme diplomatique.

Dans les années suivantes, Carvallo poursuit son engagement. Il dénonce les violences antisémites en Espagne à travers une série de rapports précis, traduisant à la fois une conscience aiguë des enjeux internationaux et une volonté de documenter pour agir. En 1858, l’affaire Edgardo Mortara — l’enlèvement d’un enfant juif par les autorités pontificales — provoque un électrochoc. Carvallo rédige une lettre aux autorités françaises, appelant l’État à intervenir. Cette affaire, qui soulève l’indignation en Europe, sera l’un des déclencheurs directs de la création de l’Alliance.

Lettre de Carvallo au président de l'Alliance israélite universelle (Salomon Hayum Goldschmidt) dénonçant les violences antisémiques en Espagne.


Projet d’envoyer des lettres à Benso, Camillo (comte de Cavour) et au ministre Farini, Luigi Carlo au sujet de l’affaire Mortara.

À travers ces écrits, se révèle un Carvallo lucide et profondément humaniste, convaincu que l’organisation et la raison peuvent, dans un monde en mutation, servir la cause de la justice.

La fondation de l’Alliance : Carvallo en action

Lorsque l’Alliance israélite universelle est fondée en 1860, Carvallo en est naturellement l’un des piliers, aux côtés de Charles Netter, Narcisse Leven, Eugène Manuel, Aristide Astruc et Isidore Cahen. Il en assure même la présidence par intérim, avant que le baron de Koenigswarter n’en prenne la tête. Son engagement est immédiat et profond : il participe à la définition des grandes orientations, notamment dans le domaine de l’éducation comme le montrent certaines de nos archives.

Note sur la fondation des écoles.



Lettre de Carvallo concernant l'ENIO avec une amorce de programme.

Mais il s’investit aussi dans la gestion quotidienne de l’Alliance, suivant même de près les adhésions locales à l’Alliance, comme en témoigne une lettre adressée au siège pour signaler l’adhésion du grand rabbin de Bordeaux. Même après avoir quitté toute fonction officielle, Carvallo reste actif. Il lègue à l’Alliance une part d’héritage.

Lettre adressée au siège pour signaler l’adhésion du grand rabbin de Bordeaux


Leg à l'Alliance de la part de Carvallo

Amitiés fondatrices : Carvallo, Leven, Netter

Les lettres conservées dans les archives de l’Alliance israélite universelle révèlent une dimension plus intime de cette histoire : l’amitié sincère qui liait Jules Carvallo à Narcisse Leven et Adolphe Crémieux, mais aussi à Charles Netter, pionnier des écoles de l’Alliance au Proche-Orient.

Lettre de Carvallo à Leven datant de 1910

Lettre de Cavallo à Leven datant de 1882

Cet attachement entre les fondateurs de l’Alliance transparaît aussi dans un article important écrit par Carvallo pour célébrer les 50 ans de l’institution, revenant avec émotion sur les débuts de l’organisation et sur la fraternité entre les fondateurs.

Ces échanges nous rappellent que l’Alliance n’est pas seulement une institution : c’est aussi une aventure humaine portée par des liens profonds, une vision commune, et une volonté d’agir pour les autres.

Conclusion

Jules Carvallo n’a jamais été le plus célèbre des fondateurs de l’Alliance, ni le plus médiatique. Mais son rôle fut déterminant : il a conçu, écrit, organisé, porté. À la croisée de la science, de l’enseignement et de la défense des droits, son parcours incarne l’idéal universaliste et républicain qui a nourri l’Alliance. Grâce aux archives de l’AIU, il est aujourd’hui possible de redonner sa place à cette figure clé, et de mesurer l’ampleur de sa contribution.

Pour aller plus loin, nous vous invitons à vous pencher sur nos collections.
Nos archives concernant Jules Carvallo : 

  • ESPAGNE 7
  • FRANCE I A 03
  • FRANCE IV N 13.06

Sur notre bibliothèque numérique :