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IV. La fin de la communauté


Les autres Monastriotes, devenant également enseignants de l’Alliance, constituent un modèle pour des nouvelles générations de leur ville natale où ils passent au moins leurs vacances d’été. L’ascension sociale des frères Graciani, Léon et Elie, mérite un certain regard. A part cette dimension symbolique, l’attachement à la ville d’origine est tellement fort que certains parmi eux sont engagés dans les affaires de la communauté de Monastir. Tel est le cas d’Isaac Perez à propos de l’enseignement du turc dans les écoles de la ville que nous traiterons sous ce chapitre.

1. Emigration vers le Nouveau Monde

Indépendamment de l’émigration qualifiée et organisée par l’AIU vers le Nouveau Monde, les populations juives de Macédoine connaissent le phénomène de l’émigration en Amérique, notamment aux Etats-Unis, à la fin de 1906. Ce premier flot d’émigration juive de Monastir, demeure restreint et semble d’un caractère individuel malgré le fait que M. Arié prend l’initiative de leur apprendre l’anglais dans le local de l’œuvre scolaire en hiver 1907, date à laquelle le nombre d’émigrés juifs oscille entre 30 ou 40 chaque semaine. La vague se ralentit alors pour des raisons météorologiques peu favorable mais cela permet aux familles de bénéficier de la période hivernale pour apprendre l’anglais et se préparer.

La sécurité occupe la première place parmi les raisons de départ des juifs : toute la Macédoine est secouée par les insurrections entre les groupes bulgares et grecs au début du 20ème siècle. Ensuite, l’obligation du service militaire pour les éléments non-musulmans de l’Empire ottoman à la suite de la Révolution Jeunes Turcs désertifie aussi la ville. Certes, la situation de la guerre n’est pas la seule raison en la matière, les rumeurs de réussite chez les émigrés au Nouveau Monde suscitent un intérêt fort pour ceux qui restent. Le cas de Léon Graciani est emblématique : sur les traces de son frère ainé Elie, Léon fait également une demande de poste dans les écoles de la J.C.A. en Argentine dans l’espoir d’y faire des économies suffisamment grandes et ainsi de faire mieux vivre ses parents.  Lorsque est arrivé le moment de partir en Argentine, il est bloqué à Monastir en raison du déclenchement de la guerre balkanique en 1912 et démissionne un an plus tard durant son poste au Maroc.

2. Révolution Jeunes Turcs et les juifs

Les Juifs accueillent à bras ouvert le passage à la monarchie constitutionnelle qui leur permet d’avoir les mêmes droits que les Musulmans sous la Constitution ottomane. De point de vue symbolique, la présence des pancartes en hébreu témoigne de l’accueil chaleureux des Juifs. 

En revanche, la Révolution apporte une série de questions, notamment sur la langue d’enseignement dans les écoles de l’AIU. Monastir n’est pas épargné par ce débat : Isaac Perez, jeune instituteur d’origine monastiriote à Andrinople, met en relief le conflit interne au sein du Comité scolaire. Il indique que plusieurs membres s’opposent au niveau directeur de l’Ecole en revendiquant plus d’heures accordées au turc qu’au français. Isaac Perez participe au débat en posant la question au directeur de l’AIU : « est-il nécessaire de supprimer en partie le français dans les écoles de l’Alliance en faveur du turc ? »  Il montre ainsi sa solidarité avec les membres turcophiles de la communauté et sa conviction sur l’émancipation des juifs en Turquie après la Révolution.

3. Visite du Sultan Mehmed V

Mark Cohen suggère, relativement à la visite du Sultan Mehmed V à Monastir en 1911, que les juifs étaient plus accueillants que les autres communautés de la ville en montrant l’exemple de l’arc de triomphe construit par la communauté juive. Il convient de mentionner qu’une telle porte de réception n’est pas construite uniquement par les juifs mais aussi par les autres communautés monastiriotes. « Chaque nationalité a fait construire un arc de triomphe autour duquel elle s’est groupée à l’arrivée du Sultan » écrit Marie Benvenisté, la directrice déchue de l’Ecole des filles. Elle nous informe ainsi de l’obligation envoyée à toutes les écoles de Monastir pour qu’elles forment une haie sur le passage du monarque.

4. Annexion serbe et nouvelle organisation de la vie communautaire

La fin du régime ottoman amène celle de l’autogestion des communautés sur le plan social, voire juridique, avec la mise en place des dispositifs nationalistes serbes qui ne valorisent que l’enseignement de la langue serbe dans le pays. Le parrainage de la diplomatie française en faveur des œuvres de l’AIU se révèle dans ce moment de trouble où toutes les écoles confessionnelles se fermaient. Seules celles qui se trouvent sous la protection de la France et de la Roumanie maintiennent leurs services.  La politique hostile du Royaume serbe envers les établissements scolaires confessionnels ne s’applique donc pas aux écoles de l’AIU à Monastir et elles continuent à exercer.

D’autre part, le rôle joué par le directeur de l’Ecole des garçons, Joseph Bensimhon, dans la réorganisation de la vie communautaire sous le nouvel régime est spectaculaire. Il fait partie de la délégation monastiriote pour l’accueil du Grand Rabbin de Serbie durant sa visite à Monastir en 1913.