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3.3 Logement et travail précaire


Klemens affronte également des conditions économiques terribles. Il connaît la misère. Il doit quitter une pension dans la concession française, trop chère pour lui, pour un foyer de réfugiés invivable. Il s’essaye à tous les métiers : fossoyeur, policier de nuit, bricoleur ; l'état de guerre l’empêche d’avoir un travail stable et rémunérateur. Seul un petit commerce de timbres l’aide à survivre de manière régulière. Mais il est presque totalement dépendant de l’aide accordée aux réfugiés et des faibles sommes envoyées par sa famille et ses amis.

 

Les emplois de Klemens  

“Je le sentiment, que toi et Lola pensez que je suis paresseux, (…) j’ai fait tous les métiers du fossoyeur à gardien et cætera...”

Date Fonction(s)

Juin 1939 

Fondeur dans une fonderie chinoise (période d’essai)
Avril 1941 Coolie, réparations, faire des courses
Mai 1941 Maître de machine dans une fabrique de soda, réceptionniste dans une fabrique de paniers
Septembre - octobre 1941 Watchman (gardien de nuit)
Février 1943 - septembre 1945 serrurier- forgeron et tôlier
Février 1946 Mécanicien pour l’U.S. Air Force, peindre des cloisons et effectuer des réparations
Avril 1946 - mars 1947 policier de nuit
Il a toujours fait le commerce des timbres, des dessins techniques et des réparations occasionnelles.

 

Klemens habite d'abord dans une pension (boarding house) située 352 Rue Bourgeat dans l’ancienne concession française. Elle était mauvaise et chère. Le loyer était de 33 dollars équivalant à 165 francs. Même à ce prix, la literie n’était pas fournie et il n’avait droit qu’à un seul bain par semaine.

Quelques mois plus tard, Klemens quittera cette chambre au-dessus de ses moyens dans la chic concession française pour emménager dans ce qu'il appellait “une cabane chinoise” qui était “très primitive et froide”.

Il a vécu chichement, même si la vie était, à l'exception des loyers, bon marché. Un dollar était égal à 5,80 francs. “Un déjeuner coûte 0,60 dollars, l’autobus cinq à huit centimes, le lait est cher, un demi 0,20 dollars et une miche huit ou dix centimes.” Il se montrait très intéressé par les innovations techniques et il a demandé à plusieurs reprises à Joseph de lui envoyer des journaux spécialisés, des plans et un livre sur la metallurgie.

Mais la plupart du temps il était sans emploi. Toute tentative de trouver du travail en ces temps incertains était vouée à l’échec. La situation s’est progressivement aggravée en 1941 et Klemens soulignait que chaque heure aurait pu provoquer la coupure avec le monde et que l’ on n’ attendait plus le jour suivant, car on ne savait pas ce qui allait se passer le lendemain.

 

  • Un camp de réfugiés surchargé dans le quartier populaire Hongkew où les plus démunis, dont Klemens, ont vecu. (1948)
  • Le camp de Klemens dont il parle dans la citation ci-dessous aurait pu ressembler à ceci. (1948)

 

En raison de l’interruption des communications postales entre la France et la Chine de 1942 à 1945, nous ne disposons pour cette période d’aucune lettre de Klemens. Cependant , après la fin de l’occupation japonaise, Klemens décrit à Joseph ses conditions de vie dans le ghetto de Hongkew de 1942 à 1945 (lettre du 26 avril 1946) : 

“d’abord je n’ai pas un appartement. Je te (Joseph) l’ai déjà dit que ma situation de vie et à l’exception de la nourriture très mauvaise. J’habite dans le “Heim” (foyer/ dortoir) parce que je n’ai pas d’argent pour payer la “key-money”. C’est bizarre que toi et Lola ne me comprenez pas. Je suis logé dans le “camp” dans une espace de deux fois deux mètres carrés ensemble avec quatre personnes. Il n’y a pas de la place pour une table, une chaise. Toutes mes affaires sont rangées sous le lit. Quand il pleut, mon lit est trempé, etc... Comment puis-je travailler si je n’ai pas de place. En plus je n’ai pas de lumière. En ce moment j’ai un petit travail d'aide pendant la nuit sauf que je ne peux pas me reposer pendant la journée car il n’y pas de silence dans la chambre. Et ainsi je vis depuis trois ans.

Petit commerce de timbres-poste

D'après les lettres de Klemens, son unique revenu régulier était celui qu’il tirait de son commerce de timbres-poste. En effet, Klemens avait déjà commencé , avant la guerre du Pacifique , à vendre occasionnellement des timbres pour quelques centimes. Mais c’est plus tard que cette activité est devenue une source de revenus indispensable pour lui .Il demandait à son frère de lui envoyer de préférence de beaux et précieux timbres d’Europe, notamment les timbres mémoriaux et coloniaux. Avec un lot recherché, Klemens a gagné entre deux et trois dollars.

 

Liste des personnes enregistrées auprès du département économique de la Jüdische Gemeinde (communauté juive). Elle montre bien la diversité des emplois et formations des apatrides germanophones. 

 

Travail de nuit 

Un emploi comme policier de nuit lui a fait gagner de quoi vivre. C'était très épuisant. Il a dû rester debout dans le froid pendant huit heures et il n'arrivait pas à se reposer pendant la journée car il partageait une chambre avec quatre personnes 

Mais cela lui a seulement permis d'effectuer les achats primordiaux. Au-delà il était toujours dépendant de l'UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration, Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction, créée en 1943) et c'est grâce à sa cousine Lola qui lui a envoyé de temps en temps quelques dollars de New York, qu’il a pu acheter des chaussures et faire réparer ses vêtements. Parfois il effectuait des travaux occasionnels et du bricolage.. Il a peint des cloisons et il a fait des bricolages mais l'économie n'a pas du tout redémarré à Shangai après la guerre, estime Klemens. Après la fin de l'occupation japonaise toutes les usines étaient toujours à l’arrêt.

 

Klemens croyai devoir justifier son engagement devant son frère :  

“J’ai le sentiment, que toi et Lola pensez que je suis paresseux, (…) j’ai fait tous les métiers, de fossoyeur au gardien etc..” Il remarque que les autres réfugiés travaillent comme lui, que la plupart touchent l'aide financière des Etats-Unis (comme lui d'ailleurs) et qu'il y a seulement une minorité qui est plus aisés, car ou bien ils sont arrivés avec de l’argent, ou bien ils ont fait des affaires au marché noir. Les filles et parfois les femmes se sont prostituées “comme c’est une pratique courante dans les ports”.

 

Evidemment, Klemens n'était pas une exception. Il était comme tout le monde. Faisant partie des 2500 personnes vivant en foyers et entièrement dépendantes des organismes de secours et des 5 à 6000 vivant dans la précarité, Klemens a probablement vécu dans ces foyers surchargés.. Cependant il a gardé suffisamment d’autonomie pour valoriser ses aptitudes en vue de trouver dutravail.

Résigné, Klemens constate que durant 7 ans, il n’a pas pu suivre l’évolution des techniques et qu’il n’est plus au courant des progrès récents des technologies. C’est pourquoi il demande à son frère de lui envoyer des publications techniques récentes afin qu’il se mette à niveau. Il passe le permis de conduire et améliore ses connaissances en langues étrangères : il apprend le français, se débrouille en chinois oral et écrit et parle anglais commetous les réfugiés vivant à Shanghai.

Après le départ des Japonais, seuls 2500 réfugiés disposaient d’un salaire régulier (de 200 à 500 yuans) leur permettant de mener une vie relativement tranquille. Les autres -notamment ceux qui ont de la famille aux États-unis -ont survécu grâce à des dons familiaux. Une minorité a gagné beaucoup d’argent en faisant du commerce ou en exerçant des professions libérales lucratives.